En fait, en cours, tout le monde se gratte
« Elle m’interroge jamais, pourtant je lève le doigt, elle interroge les autres mais jamais moi, elle ne m’aime pas. » Combien de fois un professeur doit-il répondre à cette accusation ? D’expliquer que c’est sans doute un hasard, un malentendu, une question de disposition dans la classe. De décrire ce que l’on voit, debout en face de trente personnes, de dire que l’on ne « scanne pas la classe », que le regard est perturbé par tout un tas de choses. Rien n’y fait. Les profs n’interrogent pas certains élèves. De manière délibérée.
Hier, j’ai décidé de prendre le problème à bras-le-corps et j’ai invité cette élève de 6e à suivre le cours à côté de moi, à mon bureau, sur l’estrade et d’observer la classe pendant vingt minutes. Assez vite, la classe s’est habituée à sa présence.
A la fin de l’heure, on a pris cinq minutes pour le récit de ce qu’elle avait pu observer. De toute évidence, elle était assez secouée. Et stupéfaite. Elle a divisé la classe en trois : ceux qui ne semblent pas écouter, ceux qui écoutent et ceux pour qui on ne sait pas trop (merde, j’avais une vision plus glorieuse de la situation). Elle a remarqué que nombre d’élèves regardaient souvent par la fenêtre (quête de l’air libre !), que l’un soulevait sa table, un autre faisait tomber son stylo et le ramassait, un se balançait et se ravisait, un mangeait sa règle (quand l’élève devient un indic de haut vol). Elle a terminé par une description vibrante d’une forme de grattage généralisé : » y en a une qui se grattait le nez, un qui se grattait l’oreille, lui c’était la joue, et elle l’épaule, en fait en cours, tout le monde se gratte. » Un élève a fait la comparaison avec un documentaire animalier. J’ai laissé dire.
Je lui ai demandé si cela changeait son point de vue sur les enseignants et leur manière de donner la parole. Elle a convenu que le spectacle était impressionnant, les raisons d’intervenir nombreuses et le paysage plus brouillé qu’elle ne l’aurait cru. Comme on pouvait s’y attendre, tous les élèves voulaient faire la même chose, être à sa place au prochain cours. Certains voulaient qu’on se filme (non, j’aime bien l’observation en direct, subjective). Je n’ai pas refusé. Après tout, c’est intéressant pour eux, de « se voir », c’est instructif. Et ça peut leur permettre de saisir les choses différemment. A moi aussi, d’ailleurs, je n’avais pas du tout conscience d’avoir une pédagogie aussi urticante…
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